Copyright Opera Mundi (8/8)
Ou
Ce que je croyais alors…
8-Copyright Opera Mundi
Copyright Opera Mundi…Ces trois mots mystérieux revenaient invariablement chaque semaine au bas d'une des cases dessinées de chacune de mes séries favorites du journal "Donald" qui constituait l'essentiel de ma lecture hebdomadaire d'alors. Car ce que l'on nous obligeait à lire à l'école, durant ces longues séances où, le doigt suivant la ligne imprimée sur le "livre de lecture", on récitait à haute voix plus qu'on ne la lisait, ce n'était pas vraiment de la lecture n'est ce pas?
Donc, la joie de lire je la connaissais surtout au travers de Luc Bradefer, ou de Mandrake,"le roi de la magie" dont je me régalais des stratagèmes pour traquer le Méchant et récompenser le Bon. Mais il y avait ces trois petits mots qui me restaient hermétiques, d'autant plus hermétiques, qu'ils étaient les seuls de la page dessinée à ne pas sortir de la bouche des personnages à la façon de leurs dialogues. Ils étaient mêmes en plus petits caractères que les commentaires qui partageaient d'un "Pendant ce temps…" ou d'un "Un peu plus tard…" les différentes périodes du récit. Non, ils étaient discrets, tout en bas de l'une des cases, ne semblant pas appeler leur lecture, des clandestins en quelque sorte…
Et d'abord, je n'y reconnaissais aucun des mots de tous les jours qu'on m'apprenait à écrire à l'école. Particulièrement mystérieux était ce "Copyright"; certainement un mot venant d'un autre pays tant il posait d'énigmes sur la façon de le prononcer: co-paï-rig't? C'était vraiment bizarre…Et puis la logique "sujet verbe complément" qui accompagnait toute chose écrite en classe, voulait qu'on y voit une phrase complète, mais le sens de celle là m'échappait totalement.
Alors vint le temps des
suppositions et j'appliquai à l'analyse du texte la même finesse déductive que
j'admirais chez Luc et Mandrake. Si l'on admettait que Copyright c'était
trop tordu pour être un nom commun, il ne pouvait s'agir que d'un nom propre,
et Monsieur Copyright devait avoir affaire avec le journal de Donald, et
ça ne devait pas être n'importe qui pour y revenir chaque semaine… Quant aux
autres termes de la phrase, bon, celui qui était chargé d'écrire les textes
avait dû faire une faute d'orthographe ou de conjugaison et Opera cela
pouvait être opèrera; quant à Mundi le mot le plus proche était
évidemment lundi; cela nous donnait donc:
(Monsieur) Copyright
opèrera lundi.
C'était donc un message adressé, non pas à ceux qui lisaient le journal – car alors ce Monsieur se serait manifesté à moi un lundi comme annoncé – mais bien à ceux qui l'achetaient, en l'occurrence à ma mère dans le panier de laquelle j'allais chaque jeudi extraire ma lecture préférée des herbes potagères qu'elle ramenait du marché. Ainsi donc chaque lundi suivant, pendant que j'étais à l'école, un Monsieur Copyright venait sonner à la maison pour venir opérer sur le journal telle imperfection du dessin ou telle faute de grammaire…Pourtant, j'avais beau scruter chaque lundi soir mon journal de la semaine, je n'y décelais aucune trace de correction, et le pire, c'est qu"il" ne prenait même pas la peine de corriger les fautes qui émaillaient son message hebdomadaire…
Les années passèrent. L'hebdomadaire Donald disparut, et avec lui, disparut de mes rêveries de gosse la vision ubiquitaire de ce Monsieur Copyright qui, tous les lundis, visitait inlassablement les acheteurs de mon journal, pour y corriger de petites imperfections dont même mon oeil exercé de lecteur assidu ne parvenait à déceler la présence.
La solution
Si par hasard tu ne le sais déjà, Copyright – littéralement droit de copie – est la version américaine du Droit d’auteur codifié dans la législation française. Au titre de ce Droit, l’auteur d’une œuvre – littéraire ou autre – peut autoriser une tierce personne, entre autres actions, à reproduire son œuvre et la distribuer gratuitement ou contre rémunération. Mais cette cession de droits, temporaire ou permanente doit se faire moyennant un contrat entre les deux parties précisant les conditions et limites de l’autorisation ainsi que, le cas échéant, la rémunération associée.
En d'autres termes, si tu veux utiliser cette œuvre pour tes propres créations, il te faudra d'abord t'enquérir à quelles conditions, commerciales ou juridiques, tu devras t'astreindre pour le faire.
Par ailleurs, Opera Mundi est le nom d’une société française de presse créée en 1934 et dûment autorisée par Walt Disney pour diffuser dans des journaux de langue française ce qui ne s’appelait pas encore des bandes dessinées, copiées ou inspirées de celles de Walt Disney et de ses héros (Mickey, Minnie, Donald, Pluto…).
C’est ainsi qu’Opera Mundi
publiera en France le "Journal de Mickey" dont la diffusion,
interrompue durant la guerre du fait du Gouvernement de Vichy, reprendra en
1952 avec un nouveau N°1 du Journal. En préalable à cette nouvelle parution,
les aventures de Mickey ainsi que celles de héros dessinés par d’autres auteurs
américains – dont Luc Bradefer et Mandrake – apparaitront dans le journal "Donald"
dont la publication cessera en 1952 quand le nouveau Journal de Mickey prendra
la relève.
Le facsimilé du
journal Donald N°17 (13 janvier 1947)
La mention "copyright Opera Mundi" apparaît au bas de la 10ème vignette
Tu pourras noter au passage que la société Opera Mundi, après changement de nom, a disparu définitivement en 1990.
En écrivant la formule Copyright Opera Mundi l’éditeur se devait de rappeler au lecteur potentiel que tu aurais pu être que tu ne pourrais impunément copier ces dessins, voire même de t'en inspirer, sans contracter au préalable une autorisation assortie d’une éventuelle rémunération due au titre des droits de leur auteur…
Tout ceci explique pourquoi "Monsieur Copyright" dont je supposais alors l’existence ne vint jamais à la maison effectuer une quelconque correction sur mon hebdomadaire préféré…
Plusieurs années après la
disparition de "Donald", et m’étant familiarisé avec ce Droit qu’ont
les auteurs de BD à protéger leur création, ce Monsieur sortit peu à peu du
champ de ma conscience pour n’y revenir qu’à l’occasion d’une écoute de Serge
Gainsbourg, qui dans sa chanson "Marilou sous la neige" se désole encore[1]:
Moi naïf j'pensais que me protégeaient
Les droits du copyright Opera Mundi.
Et tout le reste n'est que
littérature…
[1] Que tu pourras retrouver sur l'album "L'homme à la tête de choux" du ci-devant Gainsbarre