lundi 1 avril 2024

Copyright Opera Mundi (8/8)

 

Copyright Opera Mundi (8/8)

Ou

Ce que je croyais alors…

 

8-Copyright Opera Mundi

 

Copyright Opera Mundi…Ces trois mots mystérieux revenaient invariablement chaque semaine au bas d'une des cases dessinées de chacune de mes séries favorites du journal "Donald" qui constituait l'essentiel de ma lecture hebdomadaire d'alors. Car ce que l'on nous obligeait à lire à l'école, durant ces longues séances où, le doigt suivant la ligne imprimée sur le "livre de lecture", on récitait à haute voix plus qu'on ne la lisait, ce n'était pas vraiment de la lecture n'est ce pas?

Donc, la joie de lire je la connaissais surtout au travers de Luc Bradefer, ou de Mandrake,"le roi de la magie" dont je me régalais des stratagèmes pour traquer le Méchant et récompenser le Bon. Mais il y avait ces trois petits mots qui me restaient hermétiques, d'autant plus hermétiques, qu'ils étaient les seuls de la page dessinée à ne pas sortir de la bouche des personnages à la façon de leurs dialogues. Ils étaient mêmes en plus petits caractères que les commentaires qui partageaient d'un "Pendant ce temps…" ou d'un "Un peu plus tard…" les différentes périodes du récit. Non, ils étaient discrets, tout en bas de l'une des cases, ne semblant pas appeler leur lecture, des clandestins en quelque sorte…

Et d'abord, je n'y reconnaissais aucun des mots de tous les jours qu'on m'apprenait à écrire à l'école. Particulièrement mystérieux était ce "Copyright"; certainement un mot venant d'un autre pays tant il posait d'énigmes sur la façon de le prononcer: co-paï-rig't? C'était vraiment bizarre…Et puis la logique "sujet verbe complément" qui accompagnait toute chose écrite en classe, voulait qu'on y voit une phrase complète, mais le sens de celle là m'échappait totalement.

Alors vint le temps des suppositions et j'appliquai à l'analyse du texte la même finesse déductive que j'admirais chez Luc et Mandrake. Si l'on admettait que Copyright c'était trop tordu pour être un nom commun, il ne pouvait s'agir que d'un nom propre, et Monsieur Copyright devait avoir affaire avec le journal de Donald, et ça ne devait pas être n'importe qui pour y revenir chaque semaine… Quant aux autres termes de la phrase, bon, celui qui était chargé d'écrire les textes avait dû faire une faute d'orthographe ou de conjugaison et Opera cela pouvait être opèrera; quant à Mundi le mot le plus proche était évidemment lundi; cela nous donnait donc:

 

(Monsieur) Copyright opèrera lundi.

 

C'était donc un message adressé, non pas à ceux qui lisaient le journal – car alors ce Monsieur se serait manifesté à moi un lundi comme annoncé – mais bien à ceux qui l'achetaient, en l'occurrence à ma mère dans le panier de laquelle j'allais chaque jeudi extraire ma lecture préférée des herbes potagères qu'elle ramenait du marché. Ainsi donc chaque lundi suivant, pendant que j'étais à l'école, un Monsieur Copyright venait sonner à la maison pour venir opérer sur le journal telle imperfection du dessin ou telle faute de grammaire…Pourtant, j'avais beau scruter chaque lundi soir mon journal de la semaine, je n'y décelais aucune trace de correction, et le pire, c'est qu"il" ne prenait même pas la peine de corriger les fautes qui émaillaient son message hebdomadaire…

Les années passèrent. L'hebdomadaire Donald disparut, et avec lui, disparut de mes rêveries de gosse la vision ubiquitaire de ce Monsieur Copyright qui, tous les lundis, visitait inlassablement les acheteurs de mon journal, pour y corriger de petites imperfections dont même mon oeil exercé de lecteur assidu ne parvenait à déceler la présence.

La solution

Si par hasard tu ne le sais déjà, Copyright – littéralement droit de copie – est la version américaine du Droit d’auteur codifié dans la législation française. Au titre de ce Droit, l’auteur d’une œuvre – littéraire ou autre – peut autoriser une tierce personne, entre autres actions, à reproduire son œuvre et la distribuer gratuitement ou contre rémunération. Mais cette cession de droits, temporaire ou permanente doit se faire moyennant un contrat entre les deux parties précisant les conditions et limites de l’autorisation ainsi que, le cas échéant, la rémunération associée.

En d'autres termes, si tu veux utiliser cette œuvre pour tes propres créations, il te faudra d'abord t'enquérir à quelles conditions, commerciales ou juridiques, tu devras t'astreindre pour le faire.

Par ailleurs, Opera Mundi est le nom d’une société française de presse créée en 1934 et dûment autorisée par Walt Disney pour diffuser dans des journaux de langue française ce qui ne s’appelait pas encore des bandes dessinées, copiées ou inspirées de celles de Walt Disney et de ses héros (Mickey, Minnie, Donald, Pluto…).

C’est ainsi qu’Opera Mundi publiera en France le "Journal de Mickey" dont la diffusion, interrompue durant la guerre du fait du Gouvernement de Vichy, reprendra en 1952 avec un nouveau N°1 du Journal. En préalable à cette nouvelle parution, les aventures de Mickey ainsi que celles de héros dessinés par d’autres auteurs américains – dont Luc Bradefer et Mandrake – apparaitront dans le journal "Donald" dont la publication cessera en 1952 quand le nouveau Journal de Mickey prendra la relève.

 

 

Le facsimilé du journal Donald N°17 (13 janvier 1947)

La mention "copyright Opera Mundi" apparaît au bas de la 10ème vignette

Tu pourras noter au passage que la société Opera Mundi, après changement de nom, a disparu définitivement en 1990.

En écrivant la formule Copyright Opera Mundi l’éditeur se devait de rappeler au lecteur potentiel que tu aurais pu être que tu ne pourrais impunément copier ces dessins, voire même de t'en inspirer, sans contracter au préalable une autorisation assortie d’une éventuelle rémunération due au titre des droits de leur auteur…

Tout ceci explique pourquoi "Monsieur Copyright" dont je supposais alors l’existence ne vint jamais à la maison effectuer une quelconque correction sur mon hebdomadaire préféré…

Plusieurs années après la disparition de "Donald", et m’étant familiarisé avec ce Droit qu’ont les auteurs de BD à protéger leur création, ce Monsieur sortit peu à peu du champ de ma conscience pour n’y revenir qu’à l’occasion d’une écoute de Serge Gainsbourg, qui dans sa chanson "Marilou sous la neige" se désole encore[1]:

 

Moi naïf j'pensais que me protégeaient

Les droits du copyright Opera Mundi.

 

Et tout le reste n'est que littérature… 



[1] Que tu pourras retrouver sur l'album "L'homme à la tête de choux" du ci-devant Gainsbarre

vendredi 23 février 2024

Copyright Opera Mundi (7/8)

 

Copyright Opera Mundi (7/8)

Ou

Ce que je croyais alors…

  

7-Un nombre infiniment grand d'infiniment petits

J'aimais bien la géologie. Et je l'aimais car nous avions, en cette classe de 4ème de Lycée, un prof tout à fait passionné par sa discipline et qui nous en parlait avec ces mots simples qui font que la discipline la plus ardue devient accessible aux gamins…

Un jour toutefois, emporté sans doute par l'enthousiasme que lui suscitait l'enseignement des sciences, il dépassa sensiblement les limites du programme qui lui était assigné puisqu'il en vint à nous donner une première leçon de chimie, laquelle ne devait être abordée qu'en classe de 3ème.

Ainsi vint-il à nous expliquer que toute matière était faite d'atomes et de molécules. Pour moi, le concept d'atomes n'était pas nouveau car j'avais plongé quelques années auparavant dans un numéro de Sciences et Vie consacré à l'énergie atomique numéro qui m'avait laissé dans un tel état d'excitation que, après l'avoir lu et relu de la première à la dernière page, je me trouvais en mesure de répéter certains passages entiers et me faisait fort, devant un auditoire adulte, de faire la différence entre les isotopes d'uranium, par exemple, ou de quelle façon l'un de ces isotopes pouvait être transformé en plutonium 

Toutefois, nulle part ce même numéro ne parlait de molécule, et ce concept restait un peu mystérieux pour moi. En particulier, qu'est ce qui était le plus gros? L'atome ou la molécule?

J'étais donc particulièrement attentif à ce que nous disait ce jour là notre prof et j'eus une sorte de révélation lorsque, après nous avoir affirmé que, toute matière étant faite d'atomes et de molécules, le meilleur moyen de se représenter cet agencement était de considérer que la molécule élémentaire d'une substance chimique était une sorte de sac contenant les atomes constitutifs de cette substance. Ainsi, avait il ajoutée, la molécule d'eau contenait un atome d'oxygène et deux atomes d'hydrogène…

Habitué que j'étais à ne pas contester ce que disait un prof, j'admis cette affirmation comme une vérité indiscutable. Ce faisant je ne pouvais m'empêcher de penser que quelque chose clochait dans cette affirmation. Car enfin, si l'atome était la plus petite partie de toute chose, de quoi pouvait être fait le sac qui les contenait?

Bien entendu, j'eus la réponse à cette question au cours des années suivantes durant lesquelles les cours de chimie me rendront plus familiers, et plus précis, les concepts de molécule et d'atomes. Mais il me faudra attendre la classe de terminale, et la connaissance du nombre d'Avogadro, pour que molécules et atomes se trouvent définitivement reliés de façon quantitative. 

La solution 

Connu depuis l’antiquité comme "la plus petite partie non sécable de la matière", ce n’est qu’au tournant du XXème siècle que l’on a pu se faire de l’atome une représentation précise qui puisse faire consensus parmi les physiciens concernés.

Mais quelle est la masse d’un atome ? Il te suffit de retenir ici que cette masse est pratiquement contenue dans le seul noyau de l’atome, composé de deux types de particules "élémentaires" protons et neutrons, lesquels étant de masse individuelle sensiblement équivalente, cela te dispensera de les différencier pour la suite et te permettra de les renommer sous le seul terme de nucléons.

Le plus simple des atomes, celui de l’hydrogène – symbole H – est fait d’un seul nucléon. Si tu retiens la masse de ce dernier comme unité de masse atomique, alors la chimie nous enseigne que celle, par exemple du noyau d’oxygène – symbole O – est de 16 c’est-à-dire qu’il est composé de 16 nucléons. Ceci pour ne considérer que ces 2 éléments parmi la centaine d’autres possibles à identifier dans l’univers, comme tu pourrais le faire en jetant un coup d'œil au tableau périodique des éléments de Mendeleieff:

 


Tableau des éléments chimiques composant l'univers

L'hydrogène est le 1er élément en haut à gauche, l'oxygène le 8ème élément de la table

 

Bien entendu la masse en grammes d’un seul de ces atomes est si faible que tu ne pourrais la mesurer, même avec la meilleure des balances que tu pourrais construire…

Pour accéder à la mesure de ces masses, il te faut considérer le nombre d’atomes à rassembler pour que la masse totale de matière ainsi formée, exprimée en grammes, soit représentée par le même chiffre que celui de sa masse atomique. On parlera alors de 1 gramme d’hydrogène et 16 grammes d’oxygène par exemple. Par opposition à l’atome élémentaire de chaque élément tu parleras alors, pour ces ensembles, d’un atome-gramme d’hydrogène ou d’oxygène.

Au début du XIXème siècle le chimiste italien Amedeo Avogadro, à l’issue de moult expériences, formula une loi physique que l’on peut transcrire avec le vocabulaire défini ci-dessus: le nombre d’atomes contenus dans un atome-gramme est le même quelque soit l’élément considéré. En d’autres termes, il y a le même nombre d’atomes dans 1 gramme d’hydrogène que dans 16 grammes d’oxygène. Ce nombre, évidemment énorme compte tenu de la petitesse des atomes, et mesuré de différentes façons – dont leur description ici nous entrainerait trop loin – est exprimé en notation mathématique par :

NA ~ 6,022 x 1023 

Traduit dans ton langage de tous les jours, NA vaut à peu près 6 cent mille milliards de milliards…

Qu’en est-il à présent de la molécule?

La molécule est un assemblage stable de plusieurs atomes, soit identiques – comme la molécule d’hydrogène qui rassemble 2 atomes identiques: H2 – tu parleras alors de corps simple, ou un assemblage d’éléments différents – la molécule d’eau rassemble 2 atomes d’hydrogène et 1 atome d’oxygène: H2O – et tu parleras alors de corps composé.

Si tu substitues dans ces formules les atomes-gramme aux atomes élémentaires, la masse de la molécule de chacun des corps – tu parleras alors de molécule-gramme ou mole – sera la somme des masses des atomes-gramme qui les constituent. Ainsi, la masse molaire de la mole d’eau sera 2 + 16 = 18 grammes. Et la force de la loi d’Avogadro fait qu’elle s’applique également au niveau moléculaire…En d’autres termes le nombre de molécules contenues dans une mole de matière est le même quelque soit l’élément considéré, et ce nombre est égal à NA.

 



Contenant NA molécules, une mole de gaz occupe le même volume quelque soit ce gaz

(pour une température et une pression données)

 

Alors notre prof de géologie avait sans doute utilisé un raccourci pour appeler "sac" le rassemblement de NA molécules d’eau et pour donner à cet ensemble le nom de son équivalent : la mole d'eau. Mais il fut bien inspiré de nous tenir ce discours, même approximatif, pour éveiller ta curiosité et la mienne. La preuve.

 

Et tout le reste n'est que littérature…

 

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mercredi 31 janvier 2024

Copyright Opera Mundi (6/8)

 

Copyright Opera Mundi (6/8)

Ou

Ce que je croyais alors…

 

6-Le couple infernal bielle-manivelle

 

Je n'ai jamais su m'amuser simplement avec les jouets "de mon âge"; ces jouets qui faisaient la joie de mes frères, de mes cousins voire de mes copains de classe étaient régulièrement la cause d'une vexation de plus car je n'arrivais tout simplement pas à comprendre "comment ça marche"...

L'une de mes plus grandes vexations – et de frustrations de la sorte, était constitué par la voiture à pédales de mon petit cousin de Méru, voiture qu'il ne manquait pas de me prêter chaque fois que nous allions rendre visite mes parents et moi aux cousins qui habitait cette ville où les rues non encore pavées étaient incrustées de curieux tortillons de coquillages multicolores et troués, résidus de l'industrie locale réputée pour ses boutons de nacre.

Régulièrement donc, j'enviais mon cousin qui faisait le tour de l'arrière cour de sa maison au volant de sa voiture rouge, sans que le maniement des pédales ne lui impose aucun effort apparent, alors que, lorsque c'était mon tour de m'asseoir au poste de pilotage, je n'arrivais tout simplement pas à faire bouger cette invention diabolique...Ne pas la faire bouger n'était d'ailleurs pas le mot juste, car,  au premier effort que j'imprimais sur l'une des deux pédales en forme d'étrier, la voiture avançait de la juste quantité qui permettait à la jambe engagée dans cet étrier de s'étirer au maximum tandis que mon autre jambe, engagée dans l'autre pédale s'élevait en flexion avant sa complète immobilisation, le genou haut, parfaitement inutile à mouvoir mon véhicule...Et si, par un grand effort, j'appuyais à l'aide de cette seconde jambe sur le mécanisme, la voiture ne manquait pas de revenir en arrière de l'exacte distance qu'elle avait parcourue la première fois...

C'était une frustration insupportable. Et un jour que mon cousin m'avait laissé seul pour obéir à je ne sais plus quelle injonction de sa mère, et décidé à trouver la solution de cette énigme, je retournai l'engin pour essayer de comprendre les raisons de mes échecs répétés. Ce que je vis alors, me plongea dans une grande perplexité; car l'ensemble de tringles qui reliait les deux étriers à l'essieu arrière, tout en me donnant l'explication lumineuse de mes échecs ne me renseignait pas davantage sur les raisons de la facilité avec laquelle mon cousin, lui, parvenait à contourner l'apparente contradiction qu'opposait au mouvement de la voiture la cinématique du mécanisme dévoilé. Car que montrait cette cinématique, sinon que lorsque l'un des étriers atteignait sa position extrême vers l'avant de la voiture, le second étrier, lui, atteignait de même sa position extrême vers l'arrière, les tringles qui reliaient chaque étrier à l'essieu ne pouvant que les assujettir à cette position puisque tout effort appliqué sur l'un des étriers était rigoureusement contrecarré par l'effort appliqué sur l'autre...

Bien sûr, j'avais tort de m'en tenir à un constat mental qui ne prenait en ligne de compte qu'un état particulier du mécanisme – celui pour lequel les étriers étaient dans une position extrême, et, au lieu de crisper mes efforts sur un mécanisme qui ne pouvait par principe sortir de cette position, j'aurais dû me laisser emporter par l'inertie du véhicule arraché de son immobilité initiale et accordant le rythme de mes jambes à celui des pédales, j'aurais eu tôt fait de rejoindre mon cousin dans les joies du sport automobile...

Mais ce faisant, n'aurais je pas manquer l'apprentissage précoce du "système bielle-manivelle", ce système sur lequel repose la très grande majorité des moteurs utilisés à ce jour par l'humanité.

 

La solution

 

Le système bielle-manivelle est la solution mécanique quasi universelle retenue pour transformer un mouvement alternatif linéaire en un mouvement rotatif circulaire.

Le petit dessin ci-dessous, te montre le mouvement de l'ensemble piston-bielle-manivelle[1]d'un cylindre de moteur à essence, et en illustre le principe mis en application depuis l'invention de la machine à vapeur pour laquelle c'était la pression de vapeur sur le piston qui créait la force transmise par la bielle à la manivelle pour mettre celle-ci en rotation.

Cycle admission – compression – allumage – échappement d'un moteur "thermique"

Ce dessin te montre également le point faible de ce système qui avait gâché mes premiers pas automobiles, à savoir les points haut et bas du piston. En effet, imagine que c'est ta main qui pousse le piston. Au point haut de celui-ci, la bielle transmet directement ton effort au centre de la manivelle qui lui oppose une réaction égale et de sens contraire, c'est-à-dire qu'elle annule ton effort. Dans ce cas, le principe de la Dynamique – déjà vu dans l'exemple des locos doubles – nous dit que, soumis à une force résultante nulle, le système ne devrait pas pouvoir sortir de cette position extrême…et le même raisonnement peut s'appliquer s'agissant du point bas du piston!

Mais ce serait sans compter sur le principe d'inertie, également évoqué précédemment, car une fois le système mis en mouvement dans une quelconque position intermédiaire, la force nulle ne venant pas contrarier ce mouvement, le système dépasse de lui-même ces points extrêmes pour atteindre les positions intermédiaires durant lesquelles la force exercée par le piston est transmise à la manivelle sans plus d'anicroche…

Et de façon à rendre plus fluide ce passage des points extrêmes, on ajoute généralement à la manivelle une masselotte, qui, augmentant l'inertie de l'ensemble, facilite la remontée de la bielle depuis son point bas ou, au contraire, facilite sa redescente depuis son point haut.

Si tu as l'occasion de revoir sur de vieux films noir et blanc les locomotives à vapeur qui parcouraient la voie ferrée avant que l'électrification du réseau ne les en chasse, tu pourras remarquer que cette masselotte prend la forme d'une partie pleine de chaque roue motrice – c'est à dire raccordée à la bielle de traction[2] – en contraste avec le restant de la roue formé de rayons. 

 


Roue motrice de loco à vapeur: la partie pleine en haut à gauche fait office de masselotte

Et que retenir de tout ceci pour expliquer ma malencontreuse expérience automobile?

Que plutôt que d'essayer de comprendre le fonctionnement du mécanisme – simple version horizontale de l'ensemble bielle-manivelle du moteur "thermique" comme illustré ci-dessous – j'aurais dû me laisser conduire par l'inertie de cet engin, une fois mis en mouvement, pour passer les points critiques de ce mécanisme sur lesquels je ne faisais que me crisper…

 


Ensemble "bielle manivelle" d'une voiture à pédales

 

Et tout le reste n'est que littérature…

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[1] encore appelée "vilebrequin" dans ce cas

[2] Qu'on devrait plutôt appeler "bielle de poussée" dans ce cas

mardi 2 janvier 2024

Copyright Opera Mundi (5/8)

 

Copyright Opera Mundi (5/8)

Ou

Ce que je croyais alors…

 

5-Ballons, avion, fusée et autres aérostats…

…des engins cracheurs de jets

 

Comme tous les gamins de mon âge, je me suis amusé à gonfler des ballons de baudruche en soufflant par le petit appendice qui en faisait saillie, puis à admirer leur fuite désordonnée lorsque, du doigt un moment pincé, on relâchait cet appendice pour leur rendre la liberté jusqu'à ce que, ayant épuisé leur trop plein de souffle, ils retombent à terre à l'état de chiffe molle.

Et toujours, à la sempiternelle question "qu'est ce qui fait avancer le ballon?" la réponse qui venait immédiatement, aussi bien des petits que des grands, était: "l'air qui s'échappe du ballon prend appui sur l'air extérieur comme tu prends appui sur tes starting-blocks lorsque tu entames un petit cent mètres…"

Longtemps cette réponse m'apparut suffisante et je n'eus plus l'occasion de m'en préoccuper jusque vers la fin des années 50 – alors que nous étions entrés dans "l'ère post spoutnik" – et que des commentateurs de plus en plus nombreux à la télévision viennent expliquer que le jet de flammes, que l'on voyait s'échapper de la fusée qui emmenait le satellite vers son orbite, prenait appui sur l'air comme l'avait fait le ballon de mon enfance encore proche.

Mais ces commentateurs ne manquaient pas d'être contredits tout aussi doctement par d'autres  faisant remarquer que, comme il n'y a pas d'air dans l'Espace, la fusée aurait dû s'arrêter d'elle-même aux limites supérieures de l'atmosphère terrestre…

D'une toute autre nature, et apparemment sans aucun lien possible, je m'étais posé une autre question sur ce qui faisait avancer, cette fois, les avions à hélice – omniprésents dans le ciel des années 50 avant que l'avion à réaction ne vienne les supplanter. Sur ce point, je m'en étais remis aux explications de notre instituteur qui, nous faisant remarquer la forme particulière adoptée pour l'hélice, tout portait à penser qu'elle venait se visser dans l'air afin de tirer l'avion, tout comme le tire-bouchon avançait au fur et à mesure qu'on faisait tourner sa vis dans le bouchon…

Bien sûr, j'étais alors trop jeune pour simplement imaginer que ces deux problèmes – l'avancée d'un ballon et celle d'une hélice – aient pu avoir un point commun possible à expliquer par une leçon de physique. Mais là encore, il me fallut attendre le résultat de mes études d'ingénieur pour comprendre ce qui faisait avancer: et le ballon, et l'avion – qu'il soit à hélice ou à réaction – et même la fusée porteuse de satellite…

La solution

 

Pour expliquer le mouvement des engins cracheurs de jet il te faut une nouvelle fois faire appel à la Dynamique que nous avions déjà visitée à l’occasion du mystère des locos doubles. Mais cette fois le problème semble plus ardu puisque tu ne peux mettre en évidence une quelconque force physique qui, appliquée à chaque engin, aurait pu le mettre en mouvement. Car ici nous sommes en présence, non pas d’une force, mais de ce qui s’appelle la quantité de mouvement.

De quoi s’agit-il ?

Le plus simple pour illustrer ce concept est de te livrer à une petite expérience proche de celle de "l'arroseur arrosé". Munis-toi d'un simple tuyau d'arrosage et raccorde-le à un robinet préalablement bien fermé. Abandonne par terre ce tuyau muni de sa pomme d'arrosage et ouvre le robinet: tu constateras que cette pomme se déplace alors dans le sens inverse du jet, sous la seule impulsion mesurée par le produit de la masse d’eau éjectée (par seconde) par la vitesse d’éjection de cette eau (en mètres par seconde). Ce produit, qui n’est PAS une force[1], mais qui a la propriété – tout comme la force qui faisait se mouvoir les locos – de mettre en mouvement l’engin auquel il est appliqué, ce produit définit la quantité de mouvement.

Note bien au passage que le jet d'eau échange sa quantité de mouvement avec celle du tuyau, qui a sa masse propre, multipliée par sa vitesse de "recul": c'est le principe de conservation de la quantité de mouvement:

 


Conservation de la quantité de mouvement:

Celle propulsant l'obus (masse m) égale celle  faisant reculer le canon (masse M)

 

Et c'est ce même principe qui est en jeu pour la fusée propulsée dans l’espace par la seule impulsion de la masse des ergols en combustion multipliée par la vitesse de leur éjection de la tuyère, ainsi que pour ton ballon de baudruche propulsé par la quantité de mouvement du jet d’air s’échappant de son appendice…



La quantité de mouvement (dm.Ve) des ergols brulés égale celle (m.V) de l'engin 

Et pour l’avion?

Si tu connais le principe de l’avion à réaction, la réponse saute aux yeux: c’est bien la masse de l’air, chauffée dans la chambre de combustion du moteur multipliée par sa vitesse d’éjection à l’arrière du moteur qui propulse l’avion vers l’avant. Et il en est de même de l’avion à hélices, car c’est la masse d’air – non chauffée cette fois – expulsée vers l’arrière par le mouvement de l’hélice qui propulse l’avion ver l’avant. Tout avion se meut donc par réaction qu’il soit ou non à hélices…

 


Schéma de turbopropulseur:

A hélice ou à réaction, l'avion est propulsé par la quantité de mouvement de l'air expulsé 

Une illustration de ce fait te sera donnée par l’exemple d’un bimoteur à hélices dont un moteur, disons celui de gauche, s’arrête de tourner: du fait de ce déséquilibre de poussée, l’avion va virer à gauche, alors qu’il devrait virer à droite si les hélices tiraient réellement l’avion…et c'est ce genre d'incident que relate Saint-Exupéry dans son livre "Pilote de guerre" alors qu'il pilotait son bimoteur à hélices durant la campagne de France de 1940.

 

Et tout le reste n'est que littérature…

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[1] De façon rigoureuse, et pour mettre en évidence la force sous jacente il conviendrait de calculer la dérivée par rapport au temps du produit M(t) .V(t)

mercredi 29 novembre 2023

Copyright Opera Mundi (4/8)

 

Copyright Opera Mundi (4/8)

Ou

Ce que je croyais alors…

 

4-Le mystère des locos doubles.

La station SNCF de Ouest Ceinture n'était qu'à une petite demi-heure de marche de chez nous. C'est pourquoi, lorsque nous allions en visite chez les cousins de Chaville ou chez les amis de Viroflay, nous préférions utiliser les services de cette petite gare, plutôt que de rejoindre, au travers des couloirs nauséeux du Métro celle, beaucoup plus vaste mais beaucoup moins intéressante de Montparnasse.

Car, tandis que nous attendions sur le quai le train annoncé, cette petite gare présentait, en même temps que l'imposant triage qui nous faisait face, l'intérêt, à mes yeux d'enfant curieux, d'un spectacle toujours renouvelé de trains en manœuvre. J'y voyais souvent le ballet étrange de deux "locos" électriques haut-le-pied[1] attelées ensemble, ballet bien étrange en vérité, car enfin ces deux locos avançaient rigoureusement à la même vitesse et sans aucune difficulté apparente à maintenir cette identité d'allure…

Familiarisé avec les constructions de Meccano, je savais pourtant qu'il était bien difficile de faire se mouvoir deux véhicules à la même vitesse sans que l'un d'entre eux prenne soudain de l'avance, ou, au contraire ne soit réduit à pousser celui qui le précède…En toute logique, il devait en être de même des locos grandeur nature et bien que rien ne permette de le constater, la loco qui se trouvait derrière (appelons là loco B) devait pousser celle qui se trouvait devant (loco A), puisque l'absence d'écart notable entre les deux engins prouvait, CQFD, que celle de devant ne tirait pas sa consœur…

Quelque chose me chiffonnait dans ce raisonnement irréfutable. C'est que, invariablement, le machiniste qui pilotait cet attelage se trouvait toujours dans la cabine de tête; autrement dit, il devait actionner la manette des vitesses de la loco A pour, en fait, commander le moteur de la loco B! Il y avait donc un système qui permettait, lorsqu'on attelait deux locos de relayer la commande de la loco de tête – qui se laissait pousser – pour piloter la loco de queue qui, elle, devait fournir tout l'effort de "traction", pour impropre que soit ce terme dans ce cas.

Mais alors, pourquoi ne pas imaginer quelque chose d'à peine plus complexe, savoir non pas une loco poussant l'autre mais bien deux locos dont chacun des moteurs était réglé de façon à leur imprimer une vitesse identique…Et pour ralentir ou accélérer, le conducteur se contentait de tourner la manette de la loco de devant et le système se chargeait de commander chacun des deux moteurs pour qu'ils modifient de la même quantité leur vitesse respective…

C'était vraiment merveilleux. D'autant plus merveilleux que, chaque fois que ce spectacle s'offrait à moi, je ne manquais pas de regarder attentivement – pour autant que la vitesse de l'ensemble me le permette – l'attelage qui reliait les deux locos, épiant un éventuel espace entre les tampons qui aurait trahi un dérèglement du système. Mais non, les tampons de chaque machine restaient invariablement au contact de leur vis-à-vis, et il semblait que ce système prodigieux ne toléra pas même un écart de quelques centimètres par seconde entre les deux vitesses…

Les années passèrent et, ma formation d'ingénieur aidant, je finis par comprendre le mystère des locos doubles qui, tout comme l'œuf de Christophe Colomb, reposait sur une base bien plus simple que tout ce que mes raisonnements enfantins avaient pu imaginer.

 

La solution 

Pour résoudre le mystère des locos doubles, il te faut faire appel à la Dynamique, c'est-à-dire la science des objets mis en mouvement sous l'action de forces.

Ainsi  j'avais tout faux lorsque je pensais que les deux locos avaient à synchroniser leurs vitesses respectives – c'est-à-dire procéder à une composition de ces vitesses – alors que le problème trouvait sa solution dans la composition des forces en présence, la vitesse n'étant qu'une résultante de cette composition de forces.

Ce problème est aussi vieux que celui de l'attelage d'un cheval à une charrette, comme tu vas le voir dans le dessin suivant. Imagine toi à la place du conducteur et supposons que le cheval renâcle à tirer cette charge trop lourde pour lui. Alors, et si tu juges comme lui cette charrette  trop lourde à tirer, tu vas atteler un second cheval et tu ne te préoccuperas pas de savoir si les deux chevaux avanceront à la même vitesse, avec le risque que, peut être, le moins fort des deux ne vienne ralentir la marche de l'ensemble… 

L'attelage d'un second cheval peut se faire indépendamment de leur force respective 

Une fois attelés en effet, les chevaux – sans doute aiguillonnés à propos par ton fouet – uniront leurs efforts pour tirer la charrette dont la vitesse ne dépendra en final que de la somme des deux efforts de traction.

Loco B                                    Loco A

Dans cet exemple, les deux locos vont de la gauche vers la droite

De la même façon, la loco A de mon exemple développe sa propre force de traction, sans que celle-ci ne soit forcément égale à celle développée par la loco B. Et l'ensemble des deux locos se déplace sous l'action de la somme des deux forces en présence, à une seule et même vitesse ne dépendant que de cette somme de forces. Tu peux bien sûr envisager le cas extrême où l'une ou l'autre  de ces forces soit nulle. L'important est que les deux locos restent attachées pour former un seul et même ensemble: alors, si la loco dont la force de traction nulle est en tête, elle se fera pousser par la seconde, si elle est en queue elle se fera tirer.

Pour être tout à fait précis, il te faudrait considérer les deux locos depuis leur point de départ lorsque, complètement immobiles, on peut dire que l'ensemble possède une vitesse nulle. Puis sous l'effet des deux forces de traction qui s'ajoutent, tu verras l'ensemble démarrer et – suivant en cela la loi fondamentale de la Dynamique – se mettre à accélérer, c'est-à-dire que cette accélération se traduira par une vitesse de l'ensemble de plus en plus élevée.

Bien entendu ce processus n'est pas sans fin. Car, dès le démarrage de l'ensemble, des forces contraires vont venir s'appliquer aux deux locos, notablement la résistance que l'air va opposer à leur progression. Cette force aérodynamique va croître rapidement comme le carré de la vitesse de l'ensemble, c'est-à-dire qu'une fois atteinte la vitesse pour laquelle cette force est égale – mais de sens contraire – à la somme des forces de traction, la résultante de toutes ces forces devient nulle et l'ensemble cesse d'accélérer: il a atteint sa vitesse de croisière. Et tu constateras alors que cette vitesse demeure constante tant que cette résultante de forces demeure nulle: cette propriété d'un objet de se mouvoir à vitesse constante lorsque aucune force ne lui est appliquée s'appelle le Principe d'Inertie.

Mais ceci est une autre histoire…


Et tout le reste n’est que littérature.

[1] c'est ainsi que l'on désignait alors les locomotives auxquelles aucun wagon n'était accroché

jeudi 2 novembre 2023

Copyright Opera Mundi (3/8)

 

Copyright Opera Mundi 

Ou

Ce que je croyais alors…


3-Des couleurs primaires qui ne le sont pas

Parmi les lectures préférées de ma prime enfance, les Albums du Père Castor occupaient une place de choix.

Petits fabliaux illustrés de nombreux dessins en couleurs, leur format adapté à mes petites mains d'alors – de la taille de notre moderne A5 – leur couverture cartonnée qui résistait aux initiatives destructrices de mon âge, jusqu'à l'épaisseur des pages qui leur conférait la même résistance, tout concourait à en faire les livres privilégiés de mes lectures "d'après la classe".

Et dans cette collection, je me souviens plus particulièrement de l'opuscule "Les chatons barbouilleurs" où l'on assistait, dans un ballet de couleurs chatoyantes, aux ébats d'un couple de chatons habillés d'une salopette de peintre et lancés dans la recherche des couleurs présentes dans la nature. Et s'ils avaient réussi, à partir de quatre pots de couleurs initiales – rouge, bleu, jaune et blanc – à répliquer le rose des fleurs, le violet des prunes ou l'orangé du soleil couchant, ils se désespéraient de ne pouvoir reproduire le vert pourtant omniprésent dans leur campagne environnante…

Jusqu'au jour où, ayant par hasard mélangé du bleu et du jaune, ils s'aperçurent – Ô miracle – qu'ils avaient atteint le but recherché. Dès lors, il ne faisait plus de doute pour moi qu'avec les quatre couleurs initiales de mes chatons barbouilleurs on pouvait produire la totalité des couleurs possibles à imaginer.

Bien des années plus tard ce constat me fut confirmé lors d'un cours de dessin, lorsque notre prof, opérant avec des craies de couleurs sur le tableau de notre classe d'entrée au lycée[1], nous expliqua que les trois couleurs rouge, bleu, jaune étaient dites "primaires" – le blanc ne méritant que le qualificatif de "non-couleur" – et que toutes les couleurs de l'arc en ciel pouvaient être produites par le mélange, en proportion appropriée, de deux parmi ces trois couleurs. Toutefois, il attira notre attention sur le fait qu'un tel mélange ne pouvait impunément être mêlé à son tour à l'une de ces "primaires". Et craies de couleurs à l'appui, il nous montra que le vert – mélange de jaune et de bleu comme l'avaient montré nos deux chatons – ne se mélangeait pas au rouge, le résultat en étant une couleur "indéfinissable", un brun "plus ou moins sale" comme il le baptisa alors…

Pour la majeure partie de ma vie d'adulte, je restai asservi à la trinité primaire rouge-bleu-jaune, qu'on retrouvait d'ailleurs souvent reproduite en marge des quotidiens "en couleurs" comme trois "touches d'essai" permettant d'ajuster le rendu des couleurs au plus proche de la réalité.

Il me fallut attendre le tournant professionnel qui me conduisit à m'exercer au traitement d'images numériques sur ordinateur pour réaliser que l'on m'avait menti, ou à tout le moins que l'on se livrait à une grossière approximation pour qualifier de primaires des couleurs qui ne l'étaient pas vraiment. Et fort de cette pratique, je ne peux réprimer mon indignation chaque fois que l'on continue, y compris dans des publications artistiques sérieuses, d'appeler primaire, en particulier, la couleur jaune qui ne l'est décidemment pas. 

La solution 

Pour comprendre le pourquoi des couleurs primaires, il te faut d'abord réaliser que la vision des couleurs est une réaction du cerveau humain aux signaux émis par des photorécepteurs qui tapissent le fond de la rétine de l'œil. Ces photorécepteurs sont des cellules en forme de cônes – au nombre d'environ 7 millions dans chaque œil – qui, quand elles reçoivent des rayons de lumière de longueurs d'onde caractéristiques, émettent à leur tour, via le nerf optique des stimuli nerveux vers le cortex du cerveau qui les interprétera en couleurs.

Longueur d'onde: souviens toi que nous avons vu ce concept au sujet des mouvements périodiques à l'origine des roues-qui-tournent-à-l'envers, car oui, la lumière est un phénomène d'oscillations périodiques[2], de fréquences tellement grandes que les longueurs d'onde correspondantes, inverses de ces fréquences, se mesurent en milliardièmes de mètre – ou nanomètres (nm)…

Et les cônes tapissant chaque rétine sont de 3 types selon la longueur d'onde à laquelle ils sont sensibles. Ceux de type 1 sont sensibles à des lumières de longueur d'onde autour de 400nm – responsable de la couleur bleue restituée par le cerveau – ceux de type 2 sont eux les plus sensible vers 500nm – couleur verte – et ceux de type 3 autour de 600 nm – couleur rouge. A ce point, et puisque l'on dépend de cette mécanique complexe allant des cônes au cerveau, sommes-nous tous égaux en vision des couleurs? En d'autres termes le rouge que tu perçois est-il exactement le même que celui vu par tes petits camarades?

La réponse est non: la sensibilité des cônes de l'œil varie – légèrement – d'un individu à l'autre, même si, en moyenne, nous interprétons tous comme rouge, pour prendre cet exemple, une lumière de 600nm de longueur d'onde. A contrario, il n'est pas rare de trouver des gens – hommes ou femmes, le sexe n'y est pour rien! – pour lesquels une anomalie de constitution des cônes photorécepteurs leur empêche de distinguer une couleur d'une autre: on les appelle des daltoniens[3].

Test "Ishara": si tu ne vois pas le chiffre 6 au milieu de cette figure, tu es daltonien(ne) 

Tu comprends à présent que les vraies couleurs primaires, celles qui permettent en s'associant de recréer toutes les autres, sont le bleu, le vert et le rouge, à partir desquelles se déclinent toutes les autres couleurs représentées dans le "cercle chromatique":

 


 Cercle chromatique: les couleurs diamétralement opposées sont dites complémentaires 

Dans ce cercle, toute couleur est la somme, en proportion bien précise de ces trois couleurs, et pour respecter cette synthèse additive physiologique initiale, ce ne pourra être réalisé qu'avec des générateurs de faisceaux lumineux que sont les écrans d'ordinateurs ou de TV ou encore les vidéoprojecteurs, tous dispositifs transformant un signal électrique initial en signal lumineux.

Mais, dans la vie courante, c'est le plus souvent via le regard porté sur une feuille de papier colorée que l'on assiste à la restitution des couleurs de la vie quotidienne. Et dans ce cas, qu'est ce qui peut justifier que le jaune – somme de vert et de rouge sur le cercle chromatique – soit la base du vert "si l'on y ajoute du bleu"?

Pour que tu comprennes bien la différence entre un écran d'ordinateur par exemple, et la feuille de papier, cette dernière ne fait que diffuser – et en particulier réfléchir – une fraction soustraite de la lumière blanche sous laquelle on observe la feuille, la fraction complémentaire étant absorbée par le pigment utilisé. Ainsi le pigment jaune que tu vois sur le papier, et pour apparaître tel, a dû absorber totalement la lumière bleue soustraite ainsi de la lumière blanche initiale pour ne restituer que sa complémentaire, le jaune.

 


Le bleu de la lumière étant absorbé, la fraction résiduelle réfléchie apparaît jaune 

Ainsi, dans cette synthèse soustractive de la couleur il te faudra imprimer trois couches de pigment: une de jaune – absorbant le bleu – une de magenta – absorbant le vert – et une de cyan – absorbant le rouge. Et tu remarqueras sur le cercle chromatique, de même que le jaune est la somme des couleurs primaires rouge et vert, le magenta est la somme du rouge et du bleu alors que le cyan est la somme du bleu et du vert. Et ces fameuses "touches d'essai" que l'on retrouve en marge des quotidiens bon marché ne sont autres que du jaune, du magenta – un rouge violacé que l'on qualifie trop rapidement de "rouge" – et du cyan – un bleu fluo que l'on a tendance à qualifier de bleu pur…et si tu possèdes une imprimante connectée à ton PC, il te faudra de temps en temps racheter de l'encre jaune, ou magenta, ou cyan pour continuer de restituer superbement les photos prises avec ton Smartphone[4]

Mais alors qu'en est-il des fameuses 7 couleurs de l'arc-en-ciel que l'on t'a, peut être, apprises à l'école[5]? Et bien, leurs appellations remontent à Newton qui, au 18ème siècle, fut le premier physicien à mettre en évidence que la lumière blanche pouvait être décomposée en une infinité de couleurs distinctes – la notion de longueur d'onde n'étant introduite que beaucoup plus tard. Et tout imprégné du postulat "d'harmonie naturelle" qui habitait l'esprit des scientifiques de son temps, il voulut y voir 7 couleurs distinctes comme il y a 7 notes de musique, 7 jours de la semaine et…7 planètes dans le système solaire, car, à cette époque la 8ème planète, Neptune n'était pas encore découverte!

 


L'expérience de Newton et la séparation de la lumière blanche en "7 couleurs"… 

En final, je voudrais revenir sur l'expérience de mon prof de dessin cherchant à mélanger le rouge et le vert pour n'y trouver qu'une couleur "sale". Tu as compris à présent que la superposition de couches de craies sur le tableau[6] réalisait une synthèse soustractive de couleurs. Du fait de l'absorption, par la craie rouge, du bleu et du vert, puis du rouge et encore du bleu par la craie verte, la lumière blanche initiale se voyait soustraite de tout ce qu'elle contenait de couleurs primaires…le résultat ne peut donc être qu'un noir vaguement jaunâtre, le bleu étant davantage absorbé que le rouge et le vert…

 

Et tout le reste n’est que littérature.

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[1] "la 6ème"", classe d'entrée au lycée d'alors, rétrogradée au niveau de la 1ère classe du collège d'aujourd'hui…

[2] Ce sont les oscillations d'un champ électromagnétique…mais ceci est – encore – une autre histoire!

[3] De John Dalton, le premier physicien ayant étudié cette anomalie de la vision

[4] Mais tu as peut être une imprimante avec une seule cartouche d'encre de couleurs, et en retournant cette dernière tu pourras remarquer 3 fentes – les "buses" – délivrant les couleurs magenta, jaune et cyan respectivement

[5] Violet – indigo – bleu – vert – jaune – orangé – rouge

[6] Le fait que le tableau soit noir ne change rien, l'absorption des couleurs se produisant dans les couches superposées de craie

mardi 26 septembre 2023

Copyright Opera Mundi (2/8)

 

Copyright Opera Mundi 

Ou

Ce que je croyais alors…


2 - Des vases presque communicants

Ce que j'aimais dans les "Leçons de choses" qui nous étaient servies chaque semaine à l'école communale de garçons où je suivais mes humanités primaires, c'était les petites expériences à laquelle notre instituteur se livrait pour appuyer ses explications du phénomène naturel à l'ordre du jour. C'est ainsi que je me rappelle tout particulièrement la leçon consacrée aux vases communicants, laquelle avait nécessité le concours de force vases, tubes, pipettes et entonnoirs, sans compter une quantité appréciable d'eau dont une bonne partie avait fini sur le plancher de la classe, spectacle toujours apprécié par des gamins de cet âge…

A un moment donné de sa démonstration, notre maître s'efforçait ainsi de recréer la scène du jet d'eau illustrée dans notre livre, qui montrait que la hauteur de ce jet atteignait exactement celle du niveau établi dans le château d'eau qui l'alimentait. Il avait donc relié un entonnoir de verre (le château d'eau du livre) à une pipette (dont s'échappait le jet d'eau) par un tube de caoutchouc (la canalisation enterrée). Et, l'entonnoir une fois rempli, il avait eu beau jeu de nous montrer que l'eau jaillissait de la pipette seulement lorsque celle-ci était placée au dessous du niveau de l'eau dans l'entonnoir. Puis, tenant l'entonnoir d'une main, il abaissait et remontait la pipette de l'autre pour montrer comment la force du jet était d'autant plus élevée que la pipette était située plus bas que l'entonnoir, et donc que les gens habitant un rez-de-chaussée étaient plus assurés d'avoir de l'eau courante que ceux habitant un étage élevé…

Tout ceci était instructif et distrayant mais quelque chose clochait dans l'expérience; car enfin, - la figure du livre était formelle – la hauteur du jet aurait dû atteindre la hauteur exacte du niveau de l'eau dans l'entonnoir. Hors, quelle que soit la hauteur à laquelle notre maître élevait la pipette, ce jet manquait d'atteindre cette hauteur réglementaire de plusieurs bons centimètres. Et il semblait même que ce manque de performance soit d'autant plus grand que la pipette était située plus bas, là précisément où le jet avait un maximum de force…

Bien sûr, il n'était pas d'usage alors de contester ce que notre maître nous disait en classe, et je repartis de ce jour d'école gardant en ma mémoire l'impression que, décidément, les adultes savaient nous mentir au prétexte de nous apprendre...

Et à cet âge, je ne fis aucun rapprochement avec une autre énigme aquatique qui mettait en jeu également des tuyaux remplis d'eau. Je veux parler des tuyaux d'arrosage de ce square du Boulevard Lefebvre, où ma mère nous emmenait les jeudis de beau temps – car à cette époque, c'était bien le jeudi ce jour enchanté où "il n'y avait pas école".

Ces tuyaux d'arrosage étaient faits de grosse toile écrue percée à intervalle régulier d'un mince trou d'où jaillissait le filet d'eau venant arroser les plates-bandes au long desquelles ces tuyaux étaient déroulés. Mais chose curieuse, alors que, près de l'extrémité du tuyau raccordée au robinet d'alimentation, le jet d'eau égalait facilement en hauteur la taille du petit garçon que j'étais, près de l'autre extrémité – celle obturée par un bouchon de bronze – ce jet d'eau n'était plus qu'un petit pipi insignifiant...

Ce n'est là encore que bien plus tard, et seulement après avoir été initié aux secrets de la mécanique des fluides, que j'eus la solution de ces deux problèmes.


La solution


Mon instituteur et mon livre de Sciences Nat' avaient à la fois tort et raison. L'explication des défauts constatés est apportée par une discipline précise, celle de la Mécanique des Fluides, c'est-à-dire la mécanique des objets non solides que sont les liquides et les gaz.

Pour te faire comprendre les principes de cette mécanique très spéciale, il te faudra distinguer deux cas de figure selon que le fluide en question est en mouvement – nous dirons qu'il s'écoule – ou au repos. Dans ce dernier cas la loi dite des vases communicants établit de façon rigoureuse que le niveau de l'eau atteinte dans le château d'eau est bien le même que celui qu'elle atteint dans l'immeuble qu'il dessert. Et mon instituteur aurait été bien inspiré de ne pas chercher à faire jaillir un petit jet d'eau à l'extrémité de son tube car alors, l'eau n'étant plus au repos, le fait qu'elle s'écoule modifie complètement l'expérience…



L'expérience réalisée par notre instituteur

En fait, le jet d'eau n'a jamais atteint le niveau de l'eau dans l'entonnoir…

En effet, dès que le fluide s'écoule, il perd de l'énergie: cette énergie est dissipée dans les innombrables petits frottements que la conduite dans laquelle il s'écoule opposent à son avancement. Ces pertes d'énergie – appelées pertes de charge – sont, toutes choses égales par ailleurs, proportionnelles à la longueur de la conduite que le fluide doit parcourir durant son écoulement.

Cette loi de la Dynamique des Fluides en mouvement explique donc que le petit jet d'eau qui s'échappait du tube à expérience de mon instituteur avait d'autant plus de difficulté à s'élever qu'il en tenait l'extrémité plus basse, ce pauvre petit jet ayant dépensé la meilleur part de son énergie à parcourir le tube, et n'ayant plus la force de s'élever jusqu'au niveau auquel mon instituteur aurait souhaité qu'il s'élevât.

Et de même cela expliquait que les jets giclant de la conduite d'arrosage de la pelouse du square étaient d'autant moins élevés que l'on se rapprochait de l'extrémité du tuyau. Ainsi dans la figure suivante, et en supposant que l'eau s'écoule de la droite vers la gauche dans le tuyau horizontal, tu peux remarquer que la hauteur du jet décroit de la buse la plus à droite jusqu'à celle la plus à gauche. Et cette décroissance étant proportionnelle à la distance de chaque buse au robinet, tu aurais pu constater avec moi, en allant d'un bout à l'autre de l'allée qui longeait la plate bande, qu'une seule et même ligne droite aurait pu joindre le point le plus haut de ces multiples jets…


Les quatre éprouvettes, ouvertes à leur extrémité, reproduisent la hauteur du jet

 que tu obtiendrais en perçant le tuyau à leur base

Ainsi, les phénomènes qui avaient attiré ma jeune curiosité n'étaient que deux aspects d'un seul et même principe physique. Et je ne tiens plus rigueur à mon instituteur de nous avoir caché une partie de vérité qu'il aurait été sans doute difficile d'expliquer aux gamins que nous étions, comme je pardonne au gardien du square de n'avoir pas su arroser de manière uniforme les plantations qui lui étaient confiées avec un matériel bien mal conçu pour cela...


Et tout le reste n’est que littérature.