jeudi 2 novembre 2023

Copyright Opera Mundi (3/8)

 

Copyright Opera Mundi 

Ou

Ce que je croyais alors…


3-Des couleurs primaires qui ne le sont pas

Parmi les lectures préférées de ma prime enfance, les Albums du Père Castor occupaient une place de choix.

Petits fabliaux illustrés de nombreux dessins en couleurs, leur format adapté à mes petites mains d'alors – de la taille de notre moderne A5 – leur couverture cartonnée qui résistait aux initiatives destructrices de mon âge, jusqu'à l'épaisseur des pages qui leur conférait la même résistance, tout concourait à en faire les livres privilégiés de mes lectures "d'après la classe".

Et dans cette collection, je me souviens plus particulièrement de l'opuscule "Les chatons barbouilleurs" où l'on assistait, dans un ballet de couleurs chatoyantes, aux ébats d'un couple de chatons habillés d'une salopette de peintre et lancés dans la recherche des couleurs présentes dans la nature. Et s'ils avaient réussi, à partir de quatre pots de couleurs initiales – rouge, bleu, jaune et blanc – à répliquer le rose des fleurs, le violet des prunes ou l'orangé du soleil couchant, ils se désespéraient de ne pouvoir reproduire le vert pourtant omniprésent dans leur campagne environnante…

Jusqu'au jour où, ayant par hasard mélangé du bleu et du jaune, ils s'aperçurent – Ô miracle – qu'ils avaient atteint le but recherché. Dès lors, il ne faisait plus de doute pour moi qu'avec les quatre couleurs initiales de mes chatons barbouilleurs on pouvait produire la totalité des couleurs possibles à imaginer.

Bien des années plus tard ce constat me fut confirmé lors d'un cours de dessin, lorsque notre prof, opérant avec des craies de couleurs sur le tableau de notre classe d'entrée au lycée[1], nous expliqua que les trois couleurs rouge, bleu, jaune étaient dites "primaires" – le blanc ne méritant que le qualificatif de "non-couleur" – et que toutes les couleurs de l'arc en ciel pouvaient être produites par le mélange, en proportion appropriée, de deux parmi ces trois couleurs. Toutefois, il attira notre attention sur le fait qu'un tel mélange ne pouvait impunément être mêlé à son tour à l'une de ces "primaires". Et craies de couleurs à l'appui, il nous montra que le vert – mélange de jaune et de bleu comme l'avaient montré nos deux chatons – ne se mélangeait pas au rouge, le résultat en étant une couleur "indéfinissable", un brun "plus ou moins sale" comme il le baptisa alors…

Pour la majeure partie de ma vie d'adulte, je restai asservi à la trinité primaire rouge-bleu-jaune, qu'on retrouvait d'ailleurs souvent reproduite en marge des quotidiens "en couleurs" comme trois "touches d'essai" permettant d'ajuster le rendu des couleurs au plus proche de la réalité.

Il me fallut attendre le tournant professionnel qui me conduisit à m'exercer au traitement d'images numériques sur ordinateur pour réaliser que l'on m'avait menti, ou à tout le moins que l'on se livrait à une grossière approximation pour qualifier de primaires des couleurs qui ne l'étaient pas vraiment. Et fort de cette pratique, je ne peux réprimer mon indignation chaque fois que l'on continue, y compris dans des publications artistiques sérieuses, d'appeler primaire, en particulier, la couleur jaune qui ne l'est décidemment pas. 

La solution 

Pour comprendre le pourquoi des couleurs primaires, il te faut d'abord réaliser que la vision des couleurs est une réaction du cerveau humain aux signaux émis par des photorécepteurs qui tapissent le fond de la rétine de l'œil. Ces photorécepteurs sont des cellules en forme de cônes – au nombre d'environ 7 millions dans chaque œil – qui, quand elles reçoivent des rayons de lumière de longueurs d'onde caractéristiques, émettent à leur tour, via le nerf optique des stimuli nerveux vers le cortex du cerveau qui les interprétera en couleurs.

Longueur d'onde: souviens toi que nous avons vu ce concept au sujet des mouvements périodiques à l'origine des roues-qui-tournent-à-l'envers, car oui, la lumière est un phénomène d'oscillations périodiques[2], de fréquences tellement grandes que les longueurs d'onde correspondantes, inverses de ces fréquences, se mesurent en milliardièmes de mètre – ou nanomètres (nm)…

Et les cônes tapissant chaque rétine sont de 3 types selon la longueur d'onde à laquelle ils sont sensibles. Ceux de type 1 sont sensibles à des lumières de longueur d'onde autour de 400nm – responsable de la couleur bleue restituée par le cerveau – ceux de type 2 sont eux les plus sensible vers 500nm – couleur verte – et ceux de type 3 autour de 600 nm – couleur rouge. A ce point, et puisque l'on dépend de cette mécanique complexe allant des cônes au cerveau, sommes-nous tous égaux en vision des couleurs? En d'autres termes le rouge que tu perçois est-il exactement le même que celui vu par tes petits camarades?

La réponse est non: la sensibilité des cônes de l'œil varie – légèrement – d'un individu à l'autre, même si, en moyenne, nous interprétons tous comme rouge, pour prendre cet exemple, une lumière de 600nm de longueur d'onde. A contrario, il n'est pas rare de trouver des gens – hommes ou femmes, le sexe n'y est pour rien! – pour lesquels une anomalie de constitution des cônes photorécepteurs leur empêche de distinguer une couleur d'une autre: on les appelle des daltoniens[3].

Test "Ishara": si tu ne vois pas le chiffre 6 au milieu de cette figure, tu es daltonien(ne) 

Tu comprends à présent que les vraies couleurs primaires, celles qui permettent en s'associant de recréer toutes les autres, sont le bleu, le vert et le rouge, à partir desquelles se déclinent toutes les autres couleurs représentées dans le "cercle chromatique":

 


 Cercle chromatique: les couleurs diamétralement opposées sont dites complémentaires 

Dans ce cercle, toute couleur est la somme, en proportion bien précise de ces trois couleurs, et pour respecter cette synthèse additive physiologique initiale, ce ne pourra être réalisé qu'avec des générateurs de faisceaux lumineux que sont les écrans d'ordinateurs ou de TV ou encore les vidéoprojecteurs, tous dispositifs transformant un signal électrique initial en signal lumineux.

Mais, dans la vie courante, c'est le plus souvent via le regard porté sur une feuille de papier colorée que l'on assiste à la restitution des couleurs de la vie quotidienne. Et dans ce cas, qu'est ce qui peut justifier que le jaune – somme de vert et de rouge sur le cercle chromatique – soit la base du vert "si l'on y ajoute du bleu"?

Pour que tu comprennes bien la différence entre un écran d'ordinateur par exemple, et la feuille de papier, cette dernière ne fait que diffuser – et en particulier réfléchir – une fraction soustraite de la lumière blanche sous laquelle on observe la feuille, la fraction complémentaire étant absorbée par le pigment utilisé. Ainsi le pigment jaune que tu vois sur le papier, et pour apparaître tel, a dû absorber totalement la lumière bleue soustraite ainsi de la lumière blanche initiale pour ne restituer que sa complémentaire, le jaune.

 


Le bleu de la lumière étant absorbé, la fraction résiduelle réfléchie apparaît jaune 

Ainsi, dans cette synthèse soustractive de la couleur il te faudra imprimer trois couches de pigment: une de jaune – absorbant le bleu – une de magenta – absorbant le vert – et une de cyan – absorbant le rouge. Et tu remarqueras sur le cercle chromatique, de même que le jaune est la somme des couleurs primaires rouge et vert, le magenta est la somme du rouge et du bleu alors que le cyan est la somme du bleu et du vert. Et ces fameuses "touches d'essai" que l'on retrouve en marge des quotidiens bon marché ne sont autres que du jaune, du magenta – un rouge violacé que l'on qualifie trop rapidement de "rouge" – et du cyan – un bleu fluo que l'on a tendance à qualifier de bleu pur…et si tu possèdes une imprimante connectée à ton PC, il te faudra de temps en temps racheter de l'encre jaune, ou magenta, ou cyan pour continuer de restituer superbement les photos prises avec ton Smartphone[4]

Mais alors qu'en est-il des fameuses 7 couleurs de l'arc-en-ciel que l'on t'a, peut être, apprises à l'école[5]? Et bien, leurs appellations remontent à Newton qui, au 18ème siècle, fut le premier physicien à mettre en évidence que la lumière blanche pouvait être décomposée en une infinité de couleurs distinctes – la notion de longueur d'onde n'étant introduite que beaucoup plus tard. Et tout imprégné du postulat "d'harmonie naturelle" qui habitait l'esprit des scientifiques de son temps, il voulut y voir 7 couleurs distinctes comme il y a 7 notes de musique, 7 jours de la semaine et…7 planètes dans le système solaire, car, à cette époque la 8ème planète, Neptune n'était pas encore découverte!

 


L'expérience de Newton et la séparation de la lumière blanche en "7 couleurs"… 

En final, je voudrais revenir sur l'expérience de mon prof de dessin cherchant à mélanger le rouge et le vert pour n'y trouver qu'une couleur "sale". Tu as compris à présent que la superposition de couches de craies sur le tableau[6] réalisait une synthèse soustractive de couleurs. Du fait de l'absorption, par la craie rouge, du bleu et du vert, puis du rouge et encore du bleu par la craie verte, la lumière blanche initiale se voyait soustraite de tout ce qu'elle contenait de couleurs primaires…le résultat ne peut donc être qu'un noir vaguement jaunâtre, le bleu étant davantage absorbé que le rouge et le vert…

 

Et tout le reste n’est que littérature.

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[1] "la 6ème"", classe d'entrée au lycée d'alors, rétrogradée au niveau de la 1ère classe du collège d'aujourd'hui…

[2] Ce sont les oscillations d'un champ électromagnétique…mais ceci est – encore – une autre histoire!

[3] De John Dalton, le premier physicien ayant étudié cette anomalie de la vision

[4] Mais tu as peut être une imprimante avec une seule cartouche d'encre de couleurs, et en retournant cette dernière tu pourras remarquer 3 fentes – les "buses" – délivrant les couleurs magenta, jaune et cyan respectivement

[5] Violet – indigo – bleu – vert – jaune – orangé – rouge

[6] Le fait que le tableau soit noir ne change rien, l'absorption des couleurs se produisant dans les couches superposées de craie

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