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Ou
Ce que je croyais alors…
2 - Des vases presque communicants
Ce que j'aimais dans les "Leçons de choses" qui nous étaient servies chaque semaine à l'école communale de garçons où je suivais mes humanités primaires, c'était les petites expériences à laquelle notre instituteur se livrait pour appuyer ses explications du phénomène naturel à l'ordre du jour. C'est ainsi que je me rappelle tout particulièrement la leçon consacrée aux vases communicants, laquelle avait nécessité le concours de force vases, tubes, pipettes et entonnoirs, sans compter une quantité appréciable d'eau dont une bonne partie avait fini sur le plancher de la classe, spectacle toujours apprécié par des gamins de cet âge…
A un moment donné de sa démonstration, notre maître s'efforçait ainsi de recréer la scène du jet d'eau illustrée dans notre livre, qui montrait que la hauteur de ce jet atteignait exactement celle du niveau établi dans le château d'eau qui l'alimentait. Il avait donc relié un entonnoir de verre (le château d'eau du livre) à une pipette (dont s'échappait le jet d'eau) par un tube de caoutchouc (la canalisation enterrée). Et, l'entonnoir une fois rempli, il avait eu beau jeu de nous montrer que l'eau jaillissait de la pipette seulement lorsque celle-ci était placée au dessous du niveau de l'eau dans l'entonnoir. Puis, tenant l'entonnoir d'une main, il abaissait et remontait la pipette de l'autre pour montrer comment la force du jet était d'autant plus élevée que la pipette était située plus bas que l'entonnoir, et donc que les gens habitant un rez-de-chaussée étaient plus assurés d'avoir de l'eau courante que ceux habitant un étage élevé…
Tout ceci était instructif et distrayant mais quelque chose clochait dans l'expérience; car enfin, - la figure du livre était formelle – la hauteur du jet aurait dû atteindre la hauteur exacte du niveau de l'eau dans l'entonnoir. Hors, quelle que soit la hauteur à laquelle notre maître élevait la pipette, ce jet manquait d'atteindre cette hauteur réglementaire de plusieurs bons centimètres. Et il semblait même que ce manque de performance soit d'autant plus grand que la pipette était située plus bas, là précisément où le jet avait un maximum de force…
Bien sûr, il n'était pas d'usage alors de contester ce que notre maître nous disait en classe, et je repartis de ce jour d'école gardant en ma mémoire l'impression que, décidément, les adultes savaient nous mentir au prétexte de nous apprendre...
Et à cet âge, je ne fis aucun rapprochement avec une autre énigme aquatique qui mettait en jeu également des tuyaux remplis d'eau. Je veux parler des tuyaux d'arrosage de ce square du Boulevard Lefebvre, où ma mère nous emmenait les jeudis de beau temps – car à cette époque, c'était bien le jeudi ce jour enchanté où "il n'y avait pas école".
Ces tuyaux d'arrosage étaient faits de grosse toile écrue percée à intervalle régulier d'un mince trou d'où jaillissait le filet d'eau venant arroser les plates-bandes au long desquelles ces tuyaux étaient déroulés. Mais chose curieuse, alors que, près de l'extrémité du tuyau raccordée au robinet d'alimentation, le jet d'eau égalait facilement en hauteur la taille du petit garçon que j'étais, près de l'autre extrémité – celle obturée par un bouchon de bronze – ce jet d'eau n'était plus qu'un petit pipi insignifiant...
Ce n'est là encore que bien plus tard, et seulement après
avoir été initié aux secrets de la mécanique des fluides, que j'eus la
solution de ces deux problèmes.
La solution
Mon instituteur et mon livre de Sciences Nat' avaient à la fois tort et raison. L'explication des défauts constatés est apportée par une discipline précise, celle de la Mécanique des Fluides, c'est-à-dire la mécanique des objets non solides que sont les liquides et les gaz.
Pour te faire comprendre les principes de cette mécanique
très spéciale, il te faudra distinguer deux cas de figure selon que le fluide
en question est en mouvement – nous dirons qu'il s'écoule – ou au repos. Dans
ce dernier cas la loi dite des vases communicants établit de façon
rigoureuse que le niveau de l'eau atteinte dans le château d'eau est bien le
même que celui qu'elle atteint dans l'immeuble qu'il dessert. Et mon
instituteur aurait été bien inspiré de ne pas chercher à faire jaillir un petit
jet d'eau à l'extrémité de son tube car alors, l'eau n'étant plus au repos, le
fait qu'elle s'écoule modifie complètement l'expérience…
L'expérience
réalisée par notre instituteur
En fait, le jet
d'eau n'a jamais atteint le niveau de l'eau dans l'entonnoir…
En effet, dès que le fluide s'écoule, il perd de l'énergie:
cette énergie est dissipée dans les innombrables petits frottements que la
conduite dans laquelle il s'écoule opposent à son avancement. Ces pertes
d'énergie – appelées pertes de charge – sont, toutes choses égales par
ailleurs, proportionnelles à la longueur de la conduite que le fluide doit
parcourir durant son écoulement.
Cette loi de la Dynamique des Fluides en mouvement explique donc que le petit jet d'eau qui s'échappait du tube à expérience de mon instituteur avait d'autant plus de difficulté à s'élever qu'il en tenait l'extrémité plus basse, ce pauvre petit jet ayant dépensé la meilleur part de son énergie à parcourir le tube, et n'ayant plus la force de s'élever jusqu'au niveau auquel mon instituteur aurait souhaité qu'il s'élevât.
Et de même cela expliquait que les jets giclant de la
conduite d'arrosage de la pelouse du square étaient d'autant moins élevés que
l'on se rapprochait de l'extrémité du tuyau. Ainsi dans la figure suivante, et
en supposant que l'eau s'écoule de la droite vers la gauche dans le tuyau
horizontal, tu peux remarquer que la hauteur du jet décroit de la buse la plus
à droite jusqu'à celle la plus à gauche. Et cette décroissance étant proportionnelle
à la distance de chaque buse au robinet, tu aurais pu constater avec moi, en
allant d'un bout à l'autre de l'allée qui longeait la plate bande, qu'une seule
et même ligne droite aurait pu joindre le point le plus haut de ces multiples
jets…
Les quatre éprouvettes, ouvertes à leur extrémité, reproduisent la hauteur du jet
que tu
obtiendrais en perçant le tuyau à leur base
Ainsi, les phénomènes qui avaient attiré ma jeune curiosité
n'étaient que deux aspects d'un seul et même principe physique. Et je ne tiens
plus rigueur à mon instituteur de nous avoir caché une partie de vérité qu'il
aurait été sans doute difficile d'expliquer aux gamins que nous étions, comme
je pardonne au gardien du square de n'avoir pas su arroser de manière uniforme
les plantations qui lui étaient confiées avec un matériel bien mal conçu pour
cela...
Et tout le reste n’est que littérature.
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