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Ou
Ce que je croyais alors…
6-Le couple infernal bielle-manivelle
Je n'ai jamais su m'amuser simplement avec les jouets "de mon âge"; ces jouets qui faisaient la joie de mes frères, de mes cousins voire de mes copains de classe étaient régulièrement la cause d'une vexation de plus car je n'arrivais tout simplement pas à comprendre "comment ça marche"...
L'une de mes plus grandes vexations – et de frustrations de la sorte, était constitué par la voiture à pédales de mon petit cousin de Méru, voiture qu'il ne manquait pas de me prêter chaque fois que nous allions rendre visite mes parents et moi aux cousins qui habitait cette ville où les rues non encore pavées étaient incrustées de curieux tortillons de coquillages multicolores et troués, résidus de l'industrie locale réputée pour ses boutons de nacre.
Régulièrement donc, j'enviais mon cousin qui faisait le tour de l'arrière cour de sa maison au volant de sa voiture rouge, sans que le maniement des pédales ne lui impose aucun effort apparent, alors que, lorsque c'était mon tour de m'asseoir au poste de pilotage, je n'arrivais tout simplement pas à faire bouger cette invention diabolique...Ne pas la faire bouger n'était d'ailleurs pas le mot juste, car, au premier effort que j'imprimais sur l'une des deux pédales en forme d'étrier, la voiture avançait de la juste quantité qui permettait à la jambe engagée dans cet étrier de s'étirer au maximum tandis que mon autre jambe, engagée dans l'autre pédale s'élevait en flexion avant sa complète immobilisation, le genou haut, parfaitement inutile à mouvoir mon véhicule...Et si, par un grand effort, j'appuyais à l'aide de cette seconde jambe sur le mécanisme, la voiture ne manquait pas de revenir en arrière de l'exacte distance qu'elle avait parcourue la première fois...
C'était une frustration insupportable. Et un jour que mon cousin m'avait laissé seul pour obéir à je ne sais plus quelle injonction de sa mère, et décidé à trouver la solution de cette énigme, je retournai l'engin pour essayer de comprendre les raisons de mes échecs répétés. Ce que je vis alors, me plongea dans une grande perplexité; car l'ensemble de tringles qui reliait les deux étriers à l'essieu arrière, tout en me donnant l'explication lumineuse de mes échecs ne me renseignait pas davantage sur les raisons de la facilité avec laquelle mon cousin, lui, parvenait à contourner l'apparente contradiction qu'opposait au mouvement de la voiture la cinématique du mécanisme dévoilé. Car que montrait cette cinématique, sinon que lorsque l'un des étriers atteignait sa position extrême vers l'avant de la voiture, le second étrier, lui, atteignait de même sa position extrême vers l'arrière, les tringles qui reliaient chaque étrier à l'essieu ne pouvant que les assujettir à cette position puisque tout effort appliqué sur l'un des étriers était rigoureusement contrecarré par l'effort appliqué sur l'autre...
Bien sûr, j'avais tort de m'en tenir à un constat mental qui ne prenait en ligne de compte qu'un état particulier du mécanisme – celui pour lequel les étriers étaient dans une position extrême, et, au lieu de crisper mes efforts sur un mécanisme qui ne pouvait par principe sortir de cette position, j'aurais dû me laisser emporter par l'inertie du véhicule arraché de son immobilité initiale et accordant le rythme de mes jambes à celui des pédales, j'aurais eu tôt fait de rejoindre mon cousin dans les joies du sport automobile...
Mais ce faisant, n'aurais je
pas manquer l'apprentissage précoce du "système bielle-manivelle", ce
système sur lequel repose la très grande majorité des moteurs utilisés à ce
jour par l'humanité.
La solution
Le système bielle-manivelle est la solution mécanique quasi universelle retenue pour transformer un mouvement alternatif linéaire en un mouvement rotatif circulaire.
Le petit dessin ci-dessous,
te montre le mouvement de l'ensemble piston-bielle-manivelle[1]d'un
cylindre de moteur à essence, et en illustre le principe mis en application
depuis l'invention de la machine à vapeur pour laquelle c'était la pression de
vapeur sur le piston qui créait la force transmise par la bielle à la manivelle
pour mettre celle-ci en rotation.
Cycle admission – compression – allumage – échappement d'un moteur "thermique"
Ce dessin te montre également le point faible de ce système qui avait gâché mes premiers pas automobiles, à savoir les points haut et bas du piston. En effet, imagine que c'est ta main qui pousse le piston. Au point haut de celui-ci, la bielle transmet directement ton effort au centre de la manivelle qui lui oppose une réaction égale et de sens contraire, c'est-à-dire qu'elle annule ton effort. Dans ce cas, le principe de la Dynamique – déjà vu dans l'exemple des locos doubles – nous dit que, soumis à une force résultante nulle, le système ne devrait pas pouvoir sortir de cette position extrême…et le même raisonnement peut s'appliquer s'agissant du point bas du piston!
Mais ce serait sans compter sur le principe d'inertie, également évoqué précédemment, car une fois le système mis en mouvement dans une quelconque position intermédiaire, la force nulle ne venant pas contrarier ce mouvement, le système dépasse de lui-même ces points extrêmes pour atteindre les positions intermédiaires durant lesquelles la force exercée par le piston est transmise à la manivelle sans plus d'anicroche…
Et de façon à rendre plus fluide ce passage des points extrêmes, on ajoute généralement à la manivelle une masselotte, qui, augmentant l'inertie de l'ensemble, facilite la remontée de la bielle depuis son point bas ou, au contraire, facilite sa redescente depuis son point haut.
Si tu as l'occasion de revoir sur de vieux films noir et blanc les locomotives à vapeur qui parcouraient la voie ferrée avant que l'électrification du réseau ne les en chasse, tu pourras remarquer que cette masselotte prend la forme d'une partie pleine de chaque roue motrice – c'est à dire raccordée à la bielle de traction[2] – en contraste avec le restant de la roue formé de rayons.
Roue motrice de loco à vapeur: la partie pleine en haut à gauche fait office de masselotte
Et que retenir de tout ceci pour expliquer ma malencontreuse expérience automobile?
Que plutôt que d'essayer de comprendre le fonctionnement du mécanisme – simple version horizontale de l'ensemble bielle-manivelle du moteur "thermique" comme illustré ci-dessous – j'aurais dû me laisser conduire par l'inertie de cet engin, une fois mis en mouvement, pour passer les points critiques de ce mécanisme sur lesquels je ne faisais que me crisper…
Ensemble
"bielle manivelle" d'une voiture à pédales
Et tout le reste n'est que
littérature…
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