mercredi 31 janvier 2024

Copyright Opera Mundi (6/8)

 

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Ou

Ce que je croyais alors…

 

6-Le couple infernal bielle-manivelle

 

Je n'ai jamais su m'amuser simplement avec les jouets "de mon âge"; ces jouets qui faisaient la joie de mes frères, de mes cousins voire de mes copains de classe étaient régulièrement la cause d'une vexation de plus car je n'arrivais tout simplement pas à comprendre "comment ça marche"...

L'une de mes plus grandes vexations – et de frustrations de la sorte, était constitué par la voiture à pédales de mon petit cousin de Méru, voiture qu'il ne manquait pas de me prêter chaque fois que nous allions rendre visite mes parents et moi aux cousins qui habitait cette ville où les rues non encore pavées étaient incrustées de curieux tortillons de coquillages multicolores et troués, résidus de l'industrie locale réputée pour ses boutons de nacre.

Régulièrement donc, j'enviais mon cousin qui faisait le tour de l'arrière cour de sa maison au volant de sa voiture rouge, sans que le maniement des pédales ne lui impose aucun effort apparent, alors que, lorsque c'était mon tour de m'asseoir au poste de pilotage, je n'arrivais tout simplement pas à faire bouger cette invention diabolique...Ne pas la faire bouger n'était d'ailleurs pas le mot juste, car,  au premier effort que j'imprimais sur l'une des deux pédales en forme d'étrier, la voiture avançait de la juste quantité qui permettait à la jambe engagée dans cet étrier de s'étirer au maximum tandis que mon autre jambe, engagée dans l'autre pédale s'élevait en flexion avant sa complète immobilisation, le genou haut, parfaitement inutile à mouvoir mon véhicule...Et si, par un grand effort, j'appuyais à l'aide de cette seconde jambe sur le mécanisme, la voiture ne manquait pas de revenir en arrière de l'exacte distance qu'elle avait parcourue la première fois...

C'était une frustration insupportable. Et un jour que mon cousin m'avait laissé seul pour obéir à je ne sais plus quelle injonction de sa mère, et décidé à trouver la solution de cette énigme, je retournai l'engin pour essayer de comprendre les raisons de mes échecs répétés. Ce que je vis alors, me plongea dans une grande perplexité; car l'ensemble de tringles qui reliait les deux étriers à l'essieu arrière, tout en me donnant l'explication lumineuse de mes échecs ne me renseignait pas davantage sur les raisons de la facilité avec laquelle mon cousin, lui, parvenait à contourner l'apparente contradiction qu'opposait au mouvement de la voiture la cinématique du mécanisme dévoilé. Car que montrait cette cinématique, sinon que lorsque l'un des étriers atteignait sa position extrême vers l'avant de la voiture, le second étrier, lui, atteignait de même sa position extrême vers l'arrière, les tringles qui reliaient chaque étrier à l'essieu ne pouvant que les assujettir à cette position puisque tout effort appliqué sur l'un des étriers était rigoureusement contrecarré par l'effort appliqué sur l'autre...

Bien sûr, j'avais tort de m'en tenir à un constat mental qui ne prenait en ligne de compte qu'un état particulier du mécanisme – celui pour lequel les étriers étaient dans une position extrême, et, au lieu de crisper mes efforts sur un mécanisme qui ne pouvait par principe sortir de cette position, j'aurais dû me laisser emporter par l'inertie du véhicule arraché de son immobilité initiale et accordant le rythme de mes jambes à celui des pédales, j'aurais eu tôt fait de rejoindre mon cousin dans les joies du sport automobile...

Mais ce faisant, n'aurais je pas manquer l'apprentissage précoce du "système bielle-manivelle", ce système sur lequel repose la très grande majorité des moteurs utilisés à ce jour par l'humanité.

 

La solution

 

Le système bielle-manivelle est la solution mécanique quasi universelle retenue pour transformer un mouvement alternatif linéaire en un mouvement rotatif circulaire.

Le petit dessin ci-dessous, te montre le mouvement de l'ensemble piston-bielle-manivelle[1]d'un cylindre de moteur à essence, et en illustre le principe mis en application depuis l'invention de la machine à vapeur pour laquelle c'était la pression de vapeur sur le piston qui créait la force transmise par la bielle à la manivelle pour mettre celle-ci en rotation.

Cycle admission – compression – allumage – échappement d'un moteur "thermique"

Ce dessin te montre également le point faible de ce système qui avait gâché mes premiers pas automobiles, à savoir les points haut et bas du piston. En effet, imagine que c'est ta main qui pousse le piston. Au point haut de celui-ci, la bielle transmet directement ton effort au centre de la manivelle qui lui oppose une réaction égale et de sens contraire, c'est-à-dire qu'elle annule ton effort. Dans ce cas, le principe de la Dynamique – déjà vu dans l'exemple des locos doubles – nous dit que, soumis à une force résultante nulle, le système ne devrait pas pouvoir sortir de cette position extrême…et le même raisonnement peut s'appliquer s'agissant du point bas du piston!

Mais ce serait sans compter sur le principe d'inertie, également évoqué précédemment, car une fois le système mis en mouvement dans une quelconque position intermédiaire, la force nulle ne venant pas contrarier ce mouvement, le système dépasse de lui-même ces points extrêmes pour atteindre les positions intermédiaires durant lesquelles la force exercée par le piston est transmise à la manivelle sans plus d'anicroche…

Et de façon à rendre plus fluide ce passage des points extrêmes, on ajoute généralement à la manivelle une masselotte, qui, augmentant l'inertie de l'ensemble, facilite la remontée de la bielle depuis son point bas ou, au contraire, facilite sa redescente depuis son point haut.

Si tu as l'occasion de revoir sur de vieux films noir et blanc les locomotives à vapeur qui parcouraient la voie ferrée avant que l'électrification du réseau ne les en chasse, tu pourras remarquer que cette masselotte prend la forme d'une partie pleine de chaque roue motrice – c'est à dire raccordée à la bielle de traction[2] – en contraste avec le restant de la roue formé de rayons. 

 


Roue motrice de loco à vapeur: la partie pleine en haut à gauche fait office de masselotte

Et que retenir de tout ceci pour expliquer ma malencontreuse expérience automobile?

Que plutôt que d'essayer de comprendre le fonctionnement du mécanisme – simple version horizontale de l'ensemble bielle-manivelle du moteur "thermique" comme illustré ci-dessous – j'aurais dû me laisser conduire par l'inertie de cet engin, une fois mis en mouvement, pour passer les points critiques de ce mécanisme sur lesquels je ne faisais que me crisper…

 


Ensemble "bielle manivelle" d'une voiture à pédales

 

Et tout le reste n'est que littérature…

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[1] encore appelée "vilebrequin" dans ce cas

[2] Qu'on devrait plutôt appeler "bielle de poussée" dans ce cas

mardi 2 janvier 2024

Copyright Opera Mundi (5/8)

 

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Ce que je croyais alors…

 

5-Ballons, avion, fusée et autres aérostats…

…des engins cracheurs de jets

 

Comme tous les gamins de mon âge, je me suis amusé à gonfler des ballons de baudruche en soufflant par le petit appendice qui en faisait saillie, puis à admirer leur fuite désordonnée lorsque, du doigt un moment pincé, on relâchait cet appendice pour leur rendre la liberté jusqu'à ce que, ayant épuisé leur trop plein de souffle, ils retombent à terre à l'état de chiffe molle.

Et toujours, à la sempiternelle question "qu'est ce qui fait avancer le ballon?" la réponse qui venait immédiatement, aussi bien des petits que des grands, était: "l'air qui s'échappe du ballon prend appui sur l'air extérieur comme tu prends appui sur tes starting-blocks lorsque tu entames un petit cent mètres…"

Longtemps cette réponse m'apparut suffisante et je n'eus plus l'occasion de m'en préoccuper jusque vers la fin des années 50 – alors que nous étions entrés dans "l'ère post spoutnik" – et que des commentateurs de plus en plus nombreux à la télévision viennent expliquer que le jet de flammes, que l'on voyait s'échapper de la fusée qui emmenait le satellite vers son orbite, prenait appui sur l'air comme l'avait fait le ballon de mon enfance encore proche.

Mais ces commentateurs ne manquaient pas d'être contredits tout aussi doctement par d'autres  faisant remarquer que, comme il n'y a pas d'air dans l'Espace, la fusée aurait dû s'arrêter d'elle-même aux limites supérieures de l'atmosphère terrestre…

D'une toute autre nature, et apparemment sans aucun lien possible, je m'étais posé une autre question sur ce qui faisait avancer, cette fois, les avions à hélice – omniprésents dans le ciel des années 50 avant que l'avion à réaction ne vienne les supplanter. Sur ce point, je m'en étais remis aux explications de notre instituteur qui, nous faisant remarquer la forme particulière adoptée pour l'hélice, tout portait à penser qu'elle venait se visser dans l'air afin de tirer l'avion, tout comme le tire-bouchon avançait au fur et à mesure qu'on faisait tourner sa vis dans le bouchon…

Bien sûr, j'étais alors trop jeune pour simplement imaginer que ces deux problèmes – l'avancée d'un ballon et celle d'une hélice – aient pu avoir un point commun possible à expliquer par une leçon de physique. Mais là encore, il me fallut attendre le résultat de mes études d'ingénieur pour comprendre ce qui faisait avancer: et le ballon, et l'avion – qu'il soit à hélice ou à réaction – et même la fusée porteuse de satellite…

La solution

 

Pour expliquer le mouvement des engins cracheurs de jet il te faut une nouvelle fois faire appel à la Dynamique que nous avions déjà visitée à l’occasion du mystère des locos doubles. Mais cette fois le problème semble plus ardu puisque tu ne peux mettre en évidence une quelconque force physique qui, appliquée à chaque engin, aurait pu le mettre en mouvement. Car ici nous sommes en présence, non pas d’une force, mais de ce qui s’appelle la quantité de mouvement.

De quoi s’agit-il ?

Le plus simple pour illustrer ce concept est de te livrer à une petite expérience proche de celle de "l'arroseur arrosé". Munis-toi d'un simple tuyau d'arrosage et raccorde-le à un robinet préalablement bien fermé. Abandonne par terre ce tuyau muni de sa pomme d'arrosage et ouvre le robinet: tu constateras que cette pomme se déplace alors dans le sens inverse du jet, sous la seule impulsion mesurée par le produit de la masse d’eau éjectée (par seconde) par la vitesse d’éjection de cette eau (en mètres par seconde). Ce produit, qui n’est PAS une force[1], mais qui a la propriété – tout comme la force qui faisait se mouvoir les locos – de mettre en mouvement l’engin auquel il est appliqué, ce produit définit la quantité de mouvement.

Note bien au passage que le jet d'eau échange sa quantité de mouvement avec celle du tuyau, qui a sa masse propre, multipliée par sa vitesse de "recul": c'est le principe de conservation de la quantité de mouvement:

 


Conservation de la quantité de mouvement:

Celle propulsant l'obus (masse m) égale celle  faisant reculer le canon (masse M)

 

Et c'est ce même principe qui est en jeu pour la fusée propulsée dans l’espace par la seule impulsion de la masse des ergols en combustion multipliée par la vitesse de leur éjection de la tuyère, ainsi que pour ton ballon de baudruche propulsé par la quantité de mouvement du jet d’air s’échappant de son appendice…



La quantité de mouvement (dm.Ve) des ergols brulés égale celle (m.V) de l'engin 

Et pour l’avion?

Si tu connais le principe de l’avion à réaction, la réponse saute aux yeux: c’est bien la masse de l’air, chauffée dans la chambre de combustion du moteur multipliée par sa vitesse d’éjection à l’arrière du moteur qui propulse l’avion vers l’avant. Et il en est de même de l’avion à hélices, car c’est la masse d’air – non chauffée cette fois – expulsée vers l’arrière par le mouvement de l’hélice qui propulse l’avion ver l’avant. Tout avion se meut donc par réaction qu’il soit ou non à hélices…

 


Schéma de turbopropulseur:

A hélice ou à réaction, l'avion est propulsé par la quantité de mouvement de l'air expulsé 

Une illustration de ce fait te sera donnée par l’exemple d’un bimoteur à hélices dont un moteur, disons celui de gauche, s’arrête de tourner: du fait de ce déséquilibre de poussée, l’avion va virer à gauche, alors qu’il devrait virer à droite si les hélices tiraient réellement l’avion…et c'est ce genre d'incident que relate Saint-Exupéry dans son livre "Pilote de guerre" alors qu'il pilotait son bimoteur à hélices durant la campagne de France de 1940.

 

Et tout le reste n'est que littérature…

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[1] De façon rigoureuse, et pour mettre en évidence la force sous jacente il conviendrait de calculer la dérivée par rapport au temps du produit M(t) .V(t)